Silence sur Chypre dans le JT de France 2 : repassez lundi
Peut-être est-ce le début d’un détricotage final, et accéléré, de
l’euro. Peut-être pas. Le problème de l’avenir, comme aurait pu dire
Pierre Dac, c’est qu’il n’est pas encore advenu. Mais le plan européen
de « sauvetage » de Chypre (dont nous vous racontons
tous les détails ici) est en tout cas un de ces événements saisissants, dont on pressent immédiatement qu’ils peuvent faire basculer l’Histoire.
Un impôt prélevé brutalement, et pour la première fois, sur les
comptes bancaires des déposants, petits et gros, sous pression de la
Troïka : sans même se prononcer sur la légitimité, ou non, de cette
mesure plus complexe qu’il y paraît, et dont on débat ardemment
dans nos forums
(un racket ? Un hold-up ? Une mesure finalement plus juste qu’une
ponction sur les salaires ?) peut-être qu’il n’en faudra pas davantage
pour déclencher au Sud de l’Europe le fameux « bank run ».
Vous savez, cette ruée vers les banques que l’on attend depuis le
début de la crise de la dette, comme les Californiens attendent le « Big
One », dans un mélange d’anxiété et d’excitation, et qui donnera le
signal du sauve-qui-peut général. Bref, pour l’UE, c’est peut-être le
vrai commencement de la fin. Et peut-être pas.
Comment informer sans affoler ?
Quoi qu’il en soit, l’événement aura démontré, une fois de plus, la
prodigieuse capacité de léthargie du système médiatique français,
notamment en période de week-end, à commencer par la chaîne phare du
service public, France 2.
Rugby, inauguration présidentielle d’un pont à Bordeaux, et un long
sujet sur le violon de l’orchestre du Titanic, enfin retrouvé on ne sait
où : pas un mot sur le sujet, alors que mille questions se posaient. Ce
Delahousse ! Il serait capable de voir une guerre mondiale débuter sous
ses yeux sans cesser de nous sourire jusqu’au fond des yeux, si ce
n’est pas prévu à l’agenda. Ce doit être une grande qualité.
Beaucoup seront tentés d’expliquer ce silence par un refus d’affoler
les téléspectateurs. Si seulement c’était l’explication ! On pourrait
alors discuter de toute une série de questions nécessaires : comment, en
effet, informer sans affoler ? A partir de quand la volonté de prendre
son temps bascule-t-elle en pur et simple délit d’initiés ? Mais pour
être machiavélique, encore faut-il avoir un cerveau. Chypre, c’est loin.
C’est petit. Tout petit. Ce ne peut pas être sérieux, tout au moins pas
aussi sérieux que le violon du Titanic. Pour l’apocalypse, repassez
lundi.
Daniel Schneidermann
Tard, dans la soirée, on apprenait d’une
part que le gouvernement chypriote cherchait à renégocier l’accord avec
Bruxelles devant l’ampleur des protestations que celui-ci avait
provoqué, et que certaines sources, en Allemagne mais aussi à la BCE,
envisageaient d’appliquer cette méthode de la confiscations des dépôts à
l’Italie et à l’Espagne.
La première proposition fait sens, à la
condition qu’elle n’entraîne pas un taux de confiscation supérieur à 12%
pour les tranches de dépôts les plus élevés. Compte tenu de la
structure des dépôts dans les banques chypriotes, il est actuellement
difficile de dire si une solution allant dans ce sens pourra être
trouvée.
La seconde idée est elle une folie pure. Commencer à évoquer la
possibilité d’une confiscation fiscale de l’ordre de 15% sur les dépôts
en Italie est exactement ce qu’il faut pour provoquer dès demain un bank run
massif dans la péninsule. Quels que soient les démentis qui seront
apportés, il est à craindre que le mal ne soit déjà fait car
l’information circule actuellement très vite sur les réseaux sociaux
(Twitter et Facebook). Nous avons ici la preuve de l’inconscience des
bureaucrates de Berlin, Francfort et Bruxelles.
Audiard faisait dire à
un de ses personnage dans le cultissime Les Tontons Flingueurs “Ah, le con, il a osé”. Mais à ce rythme, à Bruxelles, Francfort et ailleurs nous aurons bientôt les tontons flingués !
Jacques Sapir